Définition et mécanismes de l'épigénétique
Le concept d'épigenèse a été introduit, il y
a 70 ans, par C. Waddington. Un phénotype stable peut résulter du changement
chromosomique d'un gène, sans qu'il y ait modification de la séquence d'ADN [5]. L'information codée par l'ADN peut voir son
expression modifiée par des stimuli environnementaux, conduisant à des
modifications durables de l'expression génique, qui n'impliquent pas de
changements de la séquence de l'ADN, mais qui, néanmoins, peuvent être
transmissibles d'une génération à la suivante (même si cela est davantage
l'exception que le règle), après mitose ou méiose.
Chaque caractère exprimé (phénotype) est planifié
par un gène principal (mais généralement pas un seul). Chaque gène est formé
d'une séquence d'acide désoxyribonucléique (ADN), spécifique de chaque
caractère (génotype). Chaque triplet de bases, puriques (adénine ou guanine) ou
pyrimidique (thymine ou cytosine), code la mise en place d'un acide aminé
déterminé dans la protéine qui sera produite à partir de la copie d'acide
ribonucléique messager (ARNm) de cet ADN. L'ADN de chaque cellule, avec ses
quelques trois milliards de paires de bases, a une longueur de l'ordre du
mètre. Dans le noyau cellulaire il est extrêmement replié, par enroulement sur
des protéines : les histones (H). Ces protéines sont basiques, en raison de
leur richesse en acides diaminés (lysine/K, arginine/ R). L'association ADN-histones
constitue la chromatine. Des influences extérieures peuvent modifier les
histones, qui sont de plusieurs types, désignées H2A, H2B, H3 et H4. Elles sont
impliquées dans la compaction de l'ADN. Elles sont groupées par huit, en
octamères, sur lesquels s'enroulent 147 paires de bases de l'ADN, formant un
nucléosome [6]. Les nucléosomes s'enroulent
sur eux-mêmes, d'une façon plus ou moins serrée, pour former des fibres de
chromatine qui, de ce fait, sont plus ou moins denses. Quand ces fibres sont
très denses (hétérochromatine), le compactage serré de l'ADN le rend
inaccessible aux complexes enzymatiques impliqués dans la formation des copies
d'ARNm. Cette compaction serrée empêche l'expression des gènes, qui se trouvent
« éteints »/« réprimés ». À l'opposé, quand ces fibres de chromatine sont peu
denses (euchromatine), le compactage peu serré de l'ADN rend les gènes
accessibles aux complexes enzymatiques qui en assurent l'expression (en formant
des copies d'ARNm, qui quitteront le noyau et seront traduites par les
ribosomes en protéines).
Les modifications épigénétiques qui affectent
les histones peuvent être suscitées par des facteurs variés de l'environnement,
parmi lesquels figurent certaines drogues, qui influent sur l'équilibre de la
transcription par une répression (compactage serré = hétérochromatine) ou au
contraire une facilitation (compactage lâche = euchromatine) de l'expression
des gènes sous-jacents.
Des nucléosomes dépassent les parties N
terminales/ou queues des histones : sur leurs acides diaminés, lysine/K et
arginine/R, peuvent se greffer, de façon covalente, des groupements méthyle (
CH3) ou acétyle ( COCH3) ;
sur leurs lysines/K, peuvent se greffer de petites protéines du type sumo ou
ubiquitine ; sur leurs sérines/S (acide aminé alcool), peuvent se greffer sur
le radical alcool (OH) des groupements phosphoryle ( OPO3H2)
[7].
L'acétylation des lysines/K
Elle stabilise la chromatine décondensée,
c'est-à-dire, la maintient dans un état favorable au processus de transcription
/ d'expression de l'ADN. Il en va ainsi de l'acétylation de la lysine/K en
position 14 de l'histone 3 (H3K14 ace) ou encore de l'acétylation (ac) de la
lysine/K en position 27 (K27) sur l'histone H3 (H3K27ac), qui ouvrent la
chromatine au niveau des promoteurs du gène et facilitent ainsi son expression.
Une famille d'enzymes, les histones
désacétylases (HDAC), peuvent opérer la désacétylation de ces lysines/K. Les
acétylases agissent à l'opposé des histones désacétylases (HDAC), pour moduler
l'expression des gènes, les premières pour la favoriser et les secondes, au
contraire, pour la réprimer.
La méthylation des lysines/K ou des
arginines/R
Elle fait intervenir plusieurs familles
d'enzymes, dont les histones méthyl-transférases (MPTH). Cette méthylation
modifie la conformation de la chromatine. Elle affecte l'interaction entre les
histones et la double hélice de l'ADN et, partant, l'activation ou la
répression du gène. Alors que la triméthylation (me3) de la lysine/K en
position 4 (K4), de l'histone 3 (H3K4me3) facilite la transcription du gène, la
diméthylation (me2) de la lysine/K en position 9 (K9) de l'histone3 (H3K9me2)
réprime le gène ; l'ADN devenant inaccessible à la machinerie
transcriptionnelle [8]. La machinerie
transcriptionnelle implique l'ARN polymérase, qui copie l'ADN du gène en un ARN
messager. Cet ARNm passe du noyau dans le cytoplasme. Il est alors lu par un
ribosome, qui fait correspondre à chacun de ses triplets de bases un acide
aminé. Ces derniers, ainsi enchaînés les uns aux autres, aboutissent à la
protéine support du caractère programmé par l'ADN du gène. Ces modifications
quantitatives de l'expression des gènes sur- viennent en l'absence de
modification de la séquence des bases de l'ADN ; elles peuvent être transmises
à la génération suivante, voire au-delà. Elles sont cependant plus labiles que
les mutations de l'ADN. Lors de la formation des gamètes, puis de celle de
l'embryon, surviennent des effacements des marques épigénétiques [9] ; pourtant certaines d'entre elles y échappent
[10] (cf. infra).
La méthylation des cytosines de l'ADN
C'est une autre modalité de l'épigénétique.
Elle s'effectue en position 5 de la base pyrimidique (5mc). Elle fait
intervenir des ADN méthyl-transférases : DNMT3A et DNMT3B. Ces méthylations ne
modifient pas la nature du message, mais elles influent sur l'approche de l'ADN
par les ARN polymérases ; ces enzymes qui assurent sa transcription en ARNm.
D'une façon habituelle, les îlots
cytosine-phosphate-guanine (CpG) situés au niveau des promoteurs du gène ne
sont pas méthylés et les histones sont acétylées ; la chromatine est dans un
état « relâché », accessible pour la transcription de l'ADN. Les îlots CpG
situés en dehors des zones promotrices sont méthylés d'une façon variable selon
leurs positions dans les gènes, la nature de la cellule, le traitement. . .
Lors de dérèglements, cette situation peut s'inverser : les îlots CpG situés au
niveau du promoteur sont méthylés alors que ceux situés ailleurs dans le génome
sont plutôt hypométhylés.
L'intervention
de micro-ARNs (miRNAs) ou de longs ARNs (long ncRNAs) Les micro- ARNs (miRNAs)
comportent moins de 30 nucléotides, les longs ARNs (long ncRNAs) en comportent
plus de 200. Ces ARN, qui sont des transcrits de segments d'ADN ne codant pas
de protéines (ADN non codants), participent à une autre modalité d'effet
épigénétique, régulant l'expression des gènes, soit en agissant au niveau de
leur transcription, soit en intervenant de façon post-transcriptionnelle.
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